Selon le juge, le propriétaire a manqué à son obligation d'assurer au locataire la jouissance paisible des lieux loués. Le juge note que - dans le cas d'un bail commercial - le contact direct entre le locataire et ses clients est essentiel et que, s'il est rendu impossible par des circonstances extérieures telles qu'une fermeture obligatoire, le propriétaire ne remplit plus son obligation de garantir au locataire la jouissance paisible des locaux loués. Le locataire est donc libéré (en tout ou en partie) de ses obligations de paiement pour cette période.
Cette décision a été largement commentée dans la presse - mais elle est cependant contredite par d’autres jugements récemment publiés. S'agit-il donc d'une décision unique ou d'un précédent pour les affaires futures ?
Le fait du prince comme cause de force majeure ?
La Cour de Cassation précise qu'une circonstance qui ne fait que rendre l'exécution de l'obligation plus onéreuse ne constitue pas un cas de force majeure. Le "fait du prince" est défini comme tout empêchement résultant d'un ordre ou d'une interdiction émanant d'une autorité publique et qui constitue une cause étrangère justifiant l'inexécution des obligations prévues au contrat. À cet égard, la plupart de la doctrine estime que l'exécution même de l'obligation de payer (par exemple, le loyer) n'est en fait pas affectée par l'acte du gouvernement (par exemple, les restrictions gouvernementales). Même si la fermeture imposée par les arrêtés gouvernementaux a réduit les revenus des locataires, le paiement reste en théorie possible pendant cette période, par exemple avec la trésorerie du locataire ou par l'obtention de nouveaux financements externes.
Cette position est suivie dans la plupart des jugements publiés jusqu'à présent (du moins lorsque cet argument a été soulevé). Certains juges ont également souligné que les différents gouvernements ont mis en place des mesures de soutien aux secteurs obligés de fermer - un juge insistant sur le fait qu'aucune mesure de ce type n'a été prise en faveur des propriétaires.
Défaut du propriétaire de garantir la jouissance paisible des lieux (art. 1722 du Code civil) ?
En cas de perte (temporaire) juridique ou matérielle des lieux loués, le propriétaire ne peut plus remplir son obligation de garantie, et le locataire peut demander une réduction du loyer ou la résiliation, sans indemnité, du bail.
C'est l'argument principal des locataires, et celui retenu par le juge d'Etterbeek pour accorder une dispense totale du paiement du loyer.
Cet argument reste cependant très débattu et rejeté par d'autres juges, pour les motifs suivants :
- Les mesures de confinement et de fermeture peuvent entraîner la perte temporaire de l'usage des lieux loués par le locataire. Cependant, l'article 1722 du code civil présuppose que l'impossibilité de garantir cette jouissance paisible existe de la part du propriétaire, qui est tenu par cette obligation. Dans le cas présent, cette impossibilité est due à une mesure prise par un tiers, l'autorité publique, dont le bailleur n'est pas responsable en vertu de l'article 1725 du code civil.
- L'impossibilité pour le locataire d'exercer son activité dans les lieux loués n'est pas la conséquence d'un manquement du bailleur à son obligation de garantie de jouissance paisible, mais d'une décision de l'autorité qui s'impose au locataire.
- La mesure de fermeture décidée n'affecte pas les lieux loués mais le fonds de commerce, c'est-à-dire l'entreprise du locataire.
- La mesure de fermeture n'élimine pas toutes les possibilités de jouissance : la fonction de stockage est maintenue, le locataire peut procéder à un inventaire ou apporter des améliorations, et le locataire conserve l'accès exclusif aux locaux.
- Les services en ligne et les services de livraison étaient encore possibles pour certains magasins.
Théorie de l’imprévision
La théorie de l’imprévision, qui recommanderait la renégociation des conditions commerciales lorsqu'une circonstance imprévue créant un déséquilibre entre les parties survient, n'est pas reconnue en droit belge. Ceci est confirmé par plusieurs jugements publiés, bien que certains juges appliqueraient - indirectement - cette théorie via le principe de l'interdiction de l'abus de droit et le principe de l'exécution de bonne foi des contrats.
Abus de droit et exécution de bonne foi des conventions
Dans tous les jugements publiés, c'est, selon les circonstances, l'argument par lequel le locataire soutient une réduction - mais pas une renonciation intégrale - du loyer dû pour les mois de fermeture. Nous insistons cependant sur le fait que le succès d’un tel argument dépend des circonstances spécifiques de l'affaire, que le locataire soit une PME, un grand acteur local avec plusieurs magasins ou une multinationale, que le locataire ait toujours rempli ses propres obligations, que le locataire ait répondu à l'appel du propriétaire pour une négociation.
À cet égard, il convient de noter qu’une réduction de loyer sur cette base n’a été accordée que dans une minorité des jugements publiés.
Termes et délais
Notez que les juges peuvent accorder des délais de paiement en tenant compte de toutes les circonstances. Dans une minorité des jugements, de tels délais de paiement ont été accordés.
Décision unique ou précédent pour des affaires futures ?
Il faut d'abord souligner que de nombreux propriétaires et locataires ont choisi la voie de la négociation plutôt que celle de la procédure judiciaire. En conséquence, seuls quelques jugements ont été rendus et publiés à ce jour, et il est prématuré de conclure à une certaine tendance. Il semble cependant qu'une renonciation totale au loyer pendant la période de lockdown puisse difficilement être justifiée et que la base juridique sous-jacente peut être contestée.